Connaissez-vous Virginie ?
Le contexte
Virginie était esclave sur l’Habitation RICHER à Baie-Mahault, en Guadeloupe. Elle appartenait à madame Catherine de Bellecourt.
En remerciement de son dévouement et de ses bons et loyaux services, cette dernière par testament du 16 avril 1822, décide d’affranchir son esclave . L’affranchissement prendra effet à sa mort.
Madame de Bellecourt décède le 15 juillet 1832. Déclarée libre le 18 février 1834, Virginie est autorisée à s’inscrire sur les registres de l’Etat Civil.
Entre temps, elle a eu 2 enfants Amélie née 1826 et Simon né en 1829. Les 2 enfants âgés de moins de 14 ans sont impubères et doivent rester esclaves sur l’Habitation.
Sur le conseil d’autres esclaves libres de couleur, Virginie demande que son statut de femme libre soit aussi étendu à ses 2 enfants.
Elle s’appuie sur la disposition de l’Article 47 du Code noir qui stipule « que la vente d’un mari et d’une femme se trouvant sous la puissance d’un même maître, sur la même Habitation ainsi que l’enfant impubère est interdite ».
L’affranchissement de la mère étant assimilé à une séparation, celle-ci est interdite, il s’ensuit par la suite que les enfants deviennent libres.
Les héritiers de madame de Bellecourt s’opposent farouchement à la liberté des enfants de Virginie. Pour lui mettre plus de pression, ils prennent même la décision de séparer de façon conséquente la mère et ses enfants et iront jusqu’à lui demander également de régler un droit de visite, avec l’argument suivant :
« Les enfants ayant goûté avec elle tous les avantages, toutes les douceurs de la liberté, replacés ensuite sous la puissance leur maitre, à l’âge de raison, où ils commenceraient à apprécier la différence de ces deux états, ils seraient nécessairement des esclaves indisciplinés, ce qui serait contraire à l’ordre public des colonies » ….
Le procès
Cela ne se terminera par un procès en juillet 1838, auprès de la Cour d’appel de Guadeloupe.
La Cour de cassation, en principe ne peut refuser la demande de Virginie, d’autant que le Procureur Général André Dupin étaye son argumentaire en date du 1er mars 1841, en s’appuyant lui-même sur le présent article 47 du code noir qui prohibe la saisie et la vente séparée.
Nous vous rappelons le statut de cet article :
Article 47
« Ne pourront être saisis et vendus séparément, le mari, la femme et leurs enfants impubères, s’ils sont tous sous la puissance d’un même maître ; déclarons nulles les saisies et ventes séparées qui en seront faites ; ce que nous voulons avoir lieu dans les aliénations volontaires, sous peine, contre ceux qui feront les aliénations, d’être privés de celui ou de ceux qu’ils auront gardés, qui seront adjugés aux acquéreurs, sans qu’ils soient tenus de faire aucun supplément de prix » .
La Cour d’appel de Guadeloupe rejette la demande de Virginie.
L’affaire est donc renvoyée devant la Cour royale de Bordeaux qui fait trainer le dossier pour finalement donner une réponse favorable en faveur des héritiers Bellecourt le 30 juin 1842.
Entre temps, Simon le jeune fils cadet de Virginie, âgé de 12 ans vient à décéder.
Loin de se désespérer Virginie fait de nouveau appel de la décision entérinée et saisie alors la Cour de cassation avec le support de Maître Alphonse Gâtine.
Elle s’adresse cette fois-ci à la Cour de Poitiers.
Maître Adolphe Gâtine s’intéresse très tôt à la cause des esclaves, des libres de couleur et des esclaves affranchis.
Il va soutenir que les enfants ne pouvaient être séparés de leur mère même affranchie. Par l’article 711 du code civil, il invoque le fait que l’affranchissement est un droit à la liberté de l’esclave, même s’il ne peut ne peut le faire valoir indirectement que par un parent, alors que les juges coloniaux voient l’affranchissement comme une liberté méritée, soumise à la discrétion du maître.
Le 22 novembre 1844 la Cour de Poitiers rend son verdict.
Le jugement de la Cour de Bordeaux est cassé, Virginie remporte son procès. Sa fille Amélie est aussitôt déclarée libre !!
La cause est gagnée du fait de la même prise de position de la cour de cassation.
Virginie obtient gain de cause et la partie adversaire est condamnée à lui verser la somme de 14.000 francs à titre de dommages et intérêts et pour préjudice moral.
Les descendants de Mme Bellecourt vont bien essayer de faire appel de ce jugement mais leur réclamation sera déboutée.
Cette affaire permit à Maitre Gâtine d’asseoir sa réputation et de remporter avec succès d’autres affaires similaires au dossier de Virginie.
Dès lors et grâce à l’application de cet article , les esclaves purent faire valoir le droit à la liberté de leurs enfants sans que cela ne leur porte plus atteinte.
Sources
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