Père Labat
La mémoire d’un rhum de canne de Marie-Galante
Né des terres ensoleillées de Grand-Bourg Marie-Galante, la distillerie Poisson perpétue depuis plus d’un siècle un savoir-faire artisanal d’exception. Son rhum emblématique, le Père Labat, incarne la force, la fierté et la mémoire vivante de Marie-Galante, « l’île aux cent moulins ».
Des origines sucrières à la naissance d’une distillerie
Fondée entre 1860 et 1863 par la famille Poisson, la sucrerie fonctionne sur le modèle des petites habitations agricoles de l’époque : moulin, chaudières, purgerie et champs de canne alentour.
Mais à la fin du XIXᵉ siècle, la crise sucrière ravage la Guadeloupe. La concurrence du sucre de betterave, la baisse des cours mondiaux et la mécanisation des grandes usines comme Darboussier entraînent la disparition des petites structures familiales.
En 1916, un homme visionnaire, Edouard Rameau, rachète la propriété Poisson. Il installe un alambic en cuivre et une machine à vapeur, transformant la sucrerie en distillerie.
Ainsi naît le rhum Père Labat, élaboré à partir du vesou frais, pur jus de canne fermenté et distillé sans ajout de mélasse.
Père Labat, le missionnaire et la mémoire
Le nom choisi rend hommage à Jean-Baptiste Labat (1663–1738), missionnaire dominicain, ingénieur et chroniqueur. Installé en Martinique puis en Guadeloupe à la fin du XVIIᵉ siècle, il perfectionne les moulins à eau, introduit la distillation du vesou et contribue à développer la production de rhum dans les colonies françaises.
Mais le Père Labat fut aussi propriétaire d’esclaves, acteur du système colonial et témoin privilégié d’une époque de domination. Son ouvrage Nouveau Voyage aux Isles de l’Amérique (1722) demeure une source précieuse d’infrmations, mais aussi controversée.
Son nom, aujourd’hui, symbolise à la fois l’innovation technique et la mémoire douloureuse de l’esclavage.
Petit producteur devenu un grand nom
Tout au long du XXᵉ siècle, la distillerie Poisson reste la plus petite de Marie-Galante, avec une production moyenne de 300 000 litres par an.
.La fermentation naturelle précède la distillation dans une colonne créole en cuivre, qui extrait le cœur du rhum à 59 °, son degré emblématique.
Le Père Labat 59°, sec, franc et végétal, devient rapidement le rhum des pêcheurs, des planteurs et des veillées créoles. Son degré emblématique, 59°, fait de lui un symbole identitaire et un produit de terroir reconnu. Il incarne l’âme de Marie-Galante, transmise de génération en génération.
Un patrimoine vivant
A mesure que les distilleries ferment sur l’île (de 9 en 1950 à 3 aujourd’hui : Bielle, Bellevue et Poisson), la distillerie Poisson devient un patrimoine vivant.
Restée familiale, elle conserve son rythme artisanal et son savoir-faire traditionnel.
Les cannes sont coupées à la main, broyées dans les 24 heures suivant la récolte, et fermentent naturellement avant distillation.
L’alambic en cuivre d’origine fonctionne toujours, comme un témoin du lien entre la terre, le feu et le temps.
Modernisation et renouveau (depuis 2007)
En 2007, la distillerie est reprise par Jean-Cédric Brot, un entrepreneur marie-galantais.
Son objectif : moderniser sans dénaturer.
Les installations anciennes sont restaurées, la sécurité renforcée, l’accueil du public ouvert, et la gamme élargie.
Aujourd’hui, le rhum Père Labat se décline en :
- Blancs (50°, 55°, 59°),
- Vieux (3, 6, 8 ans),
- Réserve Familiale,
- Millésimés et Single Cask destinés aux connaisseurs
Le savoir-faire Père Labat : une alchimie entre terre et feu
- La canne : cultivée sur les sols calcaires de Grand-Bourg, elle donne un vesou riche et expressif.
- La distillation : colonne créole en cuivre, cœur de chauffe précis, profil herbacé et minéral.
- Le vieillissement : en fûts de chêne ex-bourbon ou français, apportant des notes boisées, vanillées et légèrement épicées.
Ce processus, inchangé depuis plus d’un siècle, confère au rhum Père Labat une personnalité unique et une reconnaissance internationale.
Mémoire et identité
L’histoire du rhum Père Labat est indissociable de celle de Marie-Galante.
Elle rappelle que la mémoire des plantations et du travail de la canne ne se résume ni à la douleur ni à la technique : c’est aussi une fierté de transmission.
A travers le Père Labat, c’est tout un pan de l’identité guadeloupéenne qui s’exprime : l’alliance entre héritage et modernité, entre souffrance et excellence.
“An ti gout Labat, sé an ti mòso listwa nou.”
(Une goutte de Labat, c’est un morceau de notre histoire.)
Le rhum Père Labat n’est pas qu’un produit d’exportation : c’est une mémoire liquide, le reflet d’une histoire tissée de courage, d’ingéniosité et de transmission.
De la sucrerie du XIXᵉ siècle à la distillerie moderne du XXIᵉ, la maison Poisson illustre ce que Marie-Galante a de plus précieux : l’authenticité, la terre et la passion.











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