Abolition de l’esclavage en Martinique
Sommaire
Il y a très exactement 172 ans, les premières lignes d’un chapitre de l’histoire de la Martinique se dévoilaient.
Le 22 Mai 1848, la Martinique se défait de ses chaînes, les esclaves sont affranchis, c’est l’abolition de l’esclavage.
Le contexte
1ère Abolition de l’esclavage par la Convention en France en 1794 et rétablissement de celui-ci en 1802 par Napoléon BONAPARTE
La Convention, par décret du 4 février 1794, abolit l’esclavage dans toutes les colonies. La Martinique, au contraire de la Guadeloupe, ne bénéficiera pas de cette mesure car elle est tombée aux mains des Anglais qui sont alors hostiles à l’abolition de l’esclavage.
En 1802, Napoléon BONAPARTE, alors 1er Consul, décide de rétablir l’esclavage dans les colonies. Pourquoi le fait-il ? Parce que les caisses de l’Etat sont vides en raison de la guerre avec les pays d’Europe et singulièrement avec l’Angleterre, et parce que l’exploitation des îles à sucre pourra à nouveau remplir les caisses de l’Etat.
Le rétablissement de l’esclavage dans les colonies était aux yeux de Napoléon BONAPARTE la condition première pour atteindre ses objectifs. Il n’eut pas besoin pour cela que son épouse lui dicte sa conduite. Cette mesure fut transparente pour la Martinique qui n’a pas bénéficié de la 1ère abolition.
Affranchissements de 1830 à 1848
A partir de 1830, avec l’avènement de LOUIS-PHILIPPE, le roi bourgeois libéral, l’affranchissement fut assoupli et la taxe d’affranchissement supprimée.
Entre 1830 et 1848, il y eut 25.661 affranchissements à la Martinique.
Les tergiversations de la Monarchie de Juillet sont balayées par la Révolution de février 1848. La Seconde République nomme une commission chargée d’organiser la fin de l’esclavage, présidée par Victor SCHOELCHER.
Le décret
Dès le 4 mars, un décret affirme que « nulle terre française ne peut porter d’esclaves », mais il faut attendre le 27 avril pour que toute une série de décrets précise les modalités de l’abolition et les mesures qui en découlent. Le décret stipule que l’abolition prendra effet deux mois après la promulgation dans chaque colonie, afin de mettre en place les mesures nécessaires à sa bonne application.
Auguste-François PERRINON, commissaire de la République pour la Martinique, chargé d’apporter les décrets dans chacune des colonies, quitte la France le 10 mai, et n’arrive que le 3 juin en Martinique, où il trouve l’émancipation déjà proclamée !
Le 22 mai
En Martinique, dès l’annonce des événements de février, on sait que la liberté est proche. Le progressiste blanc créole, Thomas HUSSON, est directeur de l’Intérieur provisoire, et promeut la politique de la fusion, c’est-à-dire, d’un rapprochement de l’élite blanche avec la nouvelle bourgeoisie de couleur. Toutefois, on observe une fermentation certaine dans les milieux blancs les plus conservateurs, tandis que, dans les ateliers, les esclaves s’impatientent.
Les émeutes de Saint-Pierre
La crise éclate le 21 mai, après l’arrestation de Romain, esclave de l’Habitation Duchamp au Prêcheur, qui a été emprisonné pour avoir joué du tambour pendant que les esclaves préparaient le manioc. La tension monte, les esclaves de son atelier trouvant la punition trop excessive prennent sa défense et réclament sa libération. Pierre-Marie PORY-PAPY, mulâtre et adjoint au maire de Saint-Pierre et chargé de la police, fait relâcher Romain le 22 mai au matin. Favorable à l’esclavage, le maire de Saint Pierre, Pierre HERVÉ, le convoque alors pour lui demander des explications.
Tandis qu’en ville, les esclaves restent dans les rues, d’autres remontant sur le Prêcheur se heurtent à une troupe sous les ordres du maire Jean-François Antoine HUC. L’accrochage fait plusieurs morts et blessés parmi les manifestants, tandis qu’un peu plus loin, un groupe d’esclaves massacre le gendre de HUC. Cette flambée de violence au Prêcheur embrase Saint-Pierre. La foule se concentre vers la maison de Sanois, où sont réfugiées des familles de colons parmi les plus honnis. On y met le feu, l’émeute est à son comble.
Le 23 mai aux aurores, le Conseil municipal soumet au gouverneur Claude ROSTOLAND, revenu en tout hâte à Saint-Pierre, une motion en faveur de l’abolition immédiate. Celui-ci proclame dans l’après-midi la fin de l’esclavage à la Martinique, et l’amnistie pour tous les délits politiques survenus pendant ces journées de troubles.
La fête succède immédiatement à la violence dans les rues, et c’est dans ce contexte qu’arrive PERRINON, porteur des décrets du 27 avril, qu’il se résout à publier le 4 juin avec des amendements conséquents.
Les conséquences de l’abolition
L’abolition s’accompagne d’une série de mesures immédiates, les unes en faveur des nouveaux-libres, les autres au profit des anciens maîtres. Désormais, les anciens esclaves jouissent des droits pleins et entiers de citoyens (y compris électoraux), en plus des droits civils, dont le plus immédiat est d’avoir un patronyme, symbole de leur état civil. La série de décrets du 27 avril comprend aussi des mesures pour l’instruction et la protection sociale (enfants, vieillards).
Néanmoins, SCHOELCHER n’a pas franchi le pas de la réforme foncière, alors que les nouveaux-libres revendiquent la propriété sur leur case et leur jardin. En revanche, la République attribue aux anciens propriétaires une indemnité, pour compenser la perte de la force de travail, leur permettre de faire face à leurs créanciers et injecter le numéraire nécessaire au développement du salariat.
Enfin, elle soutient, avec un succès mitigé, le contrat d’association, qui maintient un engagement entre le maître de la terre et le nouveau prolétaire rural. Celui-ci, colon partiaire ou cultivateur « casé » restera étroitement tributaire du propriétaire terrien jusqu’à la fin de l’ère sucrière, dans les années 50.
La revendication de l’accès à la terre resurgira brutalement à l’occasion de l’insurrection du Sud, en 1870, puis de façon récurrente, dans les tentatives du Conseil général pour développer la petite propriété agricole des années 1880 à 1930.
Parallèlement, la crise de la main-d’œuvre incite le régime autoritaire de Napoléon III à soutenir une nouvelle immigration, aux fortes allures de travail forcé, en provenance d’Afrique « les « Congos » et d’Inde « les coolies ».
Leur présence, bien que combattue par les élites de couleur de la IIIe République, et souvent dénigrée par les travailleurs créoles, a fortement contribué à l’identité culturelle martiniquaise d’aujourd’hui.
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