Oruno Lara
Poète, journaliste et historien
(1879–1924)
Un héritier de l’histoire
Oruno Lara naît le 12 février 1879 à Pointe-à-Pitre, dans une Guadeloupe encore marquée par les séquelles de l’esclavage, aboli à peine trente ans plus tôt.
Il est le fils de Moïse Lara (1822–1890), ancien esclave affranchi en 1843 devenu charpentier, imprimeur et journaliste, et d’Amélie Pédurand (1848–1902), originaire des Grands Fonds.
Moïse Lara avait fondé en 1849 le journal L’Avenir et marqué la vie politique locale par ses combats contre l’influence coloniale. De lui, Oruno hérite la conviction que la plume est une arme. Sa mère lui transmet, quant à elle, le sens de la dignité et de la mémoire.
Les débuts d’un typographe passionné
Dès l’âge de 11 ans, Oruno Lara entre comme apprenti à l’imprimerie du journal La Vérité. Il y découvre le métier de typographe et le rôle central de la presse dans la formation de l’opinion publique.
Il travaille ensuite pour plusieurs journaux (Le Courrier de la Guadeloupe, La République, L’Indépendant), avant de collaborer à de nombreux titres progressistes (La Démocratie, La Vérité, L’Émancipation, Le Nouvelliste).
Avec ses frères Hildevert-Adolphe, Augereau et Sully, également engagés dans l’écriture et la presse, il participe à la construction d’une véritable dynastie intellectuelle guadeloupéenne.
La Guadeloupe littéraire
En 1907, il fonde la revue La Guadeloupe Littéraire, qui devient un espace de diffusion pour les écrivains et poètes locaux. À travers ce projet, il affirme la nécessité pour les Antilles de se doter d’une production intellectuelle autonome et de rivaliser avec les revues européennes.
La guerre et la blessure
En 1914, Oruno Lara se rend en France pour donner une dimension plus large à son projet. Mais la Première Guerre mondiale interrompt son élan. Mobilisé, il connaît l’expérience des tranchées. L’inhalation de gaz de combat le laisse marqué à vie.
De cette épreuve naît une conviction : l’histoire doit être écrite par ceux qui en sont les héritiers. Il délaisse la poésie pour se consacrer pleinement à l’historiographie.
Historien et penseur engagé
En 1921, il publie son œuvre majeure :
La Guadeloupe physique, économique, agricole, commerciale, financière, politique et sociale de la découverte à nos jours (1492–1900).
Premier manuel d’histoire rédigé par un Guadeloupéen non blanc et destiné aux écoles, il devient une référence pour plusieurs générations d’élèves.
Dans sa préface, Oruno écrit :
« C’est vraiment la tâche de l’un de nous d’écrire notre propre histoire ; et lorsque, nés d’hier, nous semblons n’avoir ni passé ni identité officielle, il revient à l’un de nous d’ériger un plus beau passé… L’ignorance d’hier est une grande faiblesse. »
En 1919, il fonde la revue Le Monde Colonial, dénonçant le racisme structurel du système colonial. Ses positions s’inscrivent dans le courant du panafricanisme, en écho aux travaux de W.E.B. Du Bois et aux débats du Premier Congrès Panafricain.
En 1923, il publie Question de Couleurs : Blanches et Noirs, Roman de Mœurs, roman qui aborde de front les tensions sociales et raciales de la société antillaise.
Mort prématurée et héritage
Oruno Lara s’éteint en 1924, à l’âge de 45 ans. Son œuvre, à la fois littéraire, historique et militante, demeure une référence dans l’histoire intellectuelle guadeloupéenne.
Sa descendance perpétue son engagement :
- Dr Oruno Denis Lara, son petit-fils, historien et directeur du CERCAM, spécialiste du panafricanisme.
- Christian Lara, autre petit-fils, cinéaste considéré comme le père du cinéma antillais.
Principaux ouvrages
- La Guadeloupe physique, économique, agricole, commerciale, financière, politique et sociale de la découverte à nos jours (1492–1900) (1921)
- Question de Couleurs : Blanches et Noirs, Roman de Mœurs (1923)
Oruno Lara reste une figure pionnière : le premier historien guadeloupéen à avoir donné à son peuple une mémoire écrite et indépendante, inscrivant la Guadeloupe dans le mouvement intellectuel et politique du monde noir.
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