Laurence
Témoin de trois siècles d’histoire
(1862–1974)
Laurence Entiope est née le 9 décembre 1862 dans la commune du Marin, au sud de la Martinique, tout juste 14 ans après l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises.
Décédée le 7 avril 1974 au Lamentin, à l’âge de 111 ans et 119 jours, elle figure parmi les femmes les plus âgées jamais enregistrées en Martinique.
Elle est l’une des dernières à avoir vécu la Martinique coloniale, républicaine et départementalisée.
Une enfance entre rupture et héritage
Laurence est née dans une société encore profondément marquée par les séquelles de l’esclavage.
Sa mère, Pélagie Entiope, faisait probablement partie de cette génération née libre mais issue d’anciens esclaves. L’identité de son père reste inconnue, ce qui était courant dans les familles populaires afro-descendantes de l’époque.
Elle grandit dans un environnement modeste et rural, marqué par la solidarité communautaire, la foi religieuse et les traditions créoles.
Le Marin était alors une commune agricole où les femmes, souvent piliers du foyer, élevaient leurs enfants dans des conditions de grande précarité, mais aussi avec une résilience remarquable.
Vie de femme et maternité
Laurence Entiope ne s’est jamais mariée, mais a eu au moins trois enfants :
André, né en 1880
Nisette, née en 1882
Ludger, né en 1885
Ces naissances hors mariage n’étaient pas exceptionnelles : elles témoignent d’une réalité sociale répandue dans les familles noires rurales, où les femmes assuraient souvent seules l’éducation de leurs enfants.
Elle élève sa famille dans une société où les droits restent limités, mais où la force des liens familiaux, la culture orale, et la fierté identitaire créole offrent des repères solides.
Une longévité hors du commun
Laurence Entiope traverse trois siècles d’histoire. Elle est née sous Napoléon III, vit les deux guerres mondiales, l’éruption de la montagne Pelée en 1902, la loi de départementalisation de 1946, et meurt sous la présidence de Georges Pompidou.
Sa vie, bien que discrète, devient emblématique par sa longévité exceptionnelle.
En 1974, à 111 ans, elle devient la doyenne de la Martinique et est brièvement reconnue comme la femme la plus âgée connue en France.
Son âge est vérifié et confirmé par plusieurs organismes de recherche sur la longévité, dont le Gerontology Research Group (GRG).
Une mémoire vivante de la Martinique
Laurence Entiope n’était ni une personnalité publique ni une militante, mais sa vie résume un pan entier de l’histoire créole.
Née libre, mais dans un monde qui portait encore les chaînes mentales et économiques de l’esclavage, elle symbolise cette génération de femmes invisibles, travailleuses, dignes et résilientes, qui ont transmis la mémoire et la culture martiniquaises.
Elle a connu la misère des campagnes, les épidémies, les cyclones, la lente reconnaissance des droits des femmes et des Noirs. Elle a été témoin muet des luttes sociales, de l’émigration vers la France, et des transformations culturelles du XXe siècle.
Héritage et reconnaissance
Aujourd’hui, Laurence Entiope est inscrite dans les registres historiques de la Martinique et figure dans les bases de données des supercentenaires.
Elle est aussi évoquée dans les études sur la mémoire post-esclavagiste et sur la condition féminine en milieu rural aux Antilles.
Son nom, désormais préservé, rappelle la force des femmes créoles, souvent restées dans l’ombre, mais qui ont bâti les fondations de la société martiniquaise moderne.
0 commentaires