Written by Chantal CHARLES-ALFRED

Chantal Charles-Alfred, est originaire du Morne-Rouge en Martinique. Depuis sa plus tendre enfance, elle a été baignée lors des rencontres familiales par des anecdotes diverses sur les différents membres de la famille. Sa passion pour la généalogie est un héritage de son grand-père qui connut une vie remplie d’histoire et d’anecdotes.

27 septembre 2025

Hildevert-Adolphe LARA

la plume militante

(1876-1937)

Un héritier d’une dynastie engagée

Hildevert-Adolphe Lara voit le jour le 7 mars 1876 à Pointe-à-Pitre, dans une Guadeloupe encore profondément marquée par les séquelles de l’esclavage, aboli à peine trente ans plus tôt.

Son père, Moïse Lara, avait connu la servitude avant d’être affranchi en 1843.

Devenu charpentier, puis imprimeur et journaliste, Moïse incarne le destin de ces affranchis qui, par le travail et l’écriture, choisissent de reconstruire leur vie et de donner un sens nouveau à la liberté. De lui, Hildevert hérite non seulement l’amour des mots, mais aussi une conviction profonde : l’histoire et la presse peuvent être des instruments de justice et de dignité.

Dans cette maison marquée par l’engagement intellectuel, la fratrie Lara poursuit tous la même vocation de transmission :

  • Sully Lara devient romancier, explorant à travers la littérature les réalités sociales et culturelles des Antilles.
  • Oruno Lara (1879-1924), historien et poète, s’impose comme le premier intellectuel noir à écrire une histoire de la Guadeloupe, inscrivant son nom dans la mémoire collective.

Au sein de cette atmosphère stimulante, le jeune Hildevert comprend très tôt que l’instruction, la presse et la mémoire sont bien plus que de simples outils : ce sont des armes d’émancipation, capables de donner une voix à ceux que l’histoire coloniale a longtemps réduits au silence.

 

 De l’enseignement au barreau

Après ses études primaires, Hildevert-Adolphe Lara choisit la voie de l’enseignement. Devenir instituteur à la fin du XIXᵉ siècle n’est pas un choix neutre. Dans une société guadeloupéenne encore traversée par les héritages de l’esclavage et où l’accès à l’instruction reste limité pour les enfants noirs et métis, ce métier revêt une dimension presque militante. Pour Hildevert, enseigner, c’est transmettre des savoirs mais aussi ouvrir des horizons, donner à la jeunesse les clés de son émancipation et de sa dignité.

Porté par cette conviction, il poursuit son parcours intellectuel en entamant des études de droit. Devenu avocat, il accède à un nouveau statut social qui lui confère visibilité et autorité dans l’espace public. La toge lui offre non seulement un moyen d’action juridique mais aussi une tribune politique et sociale.

A travers ses plaidoiries et ses prises de parole, il s’engage à défendre les causes qui lui tiennent à cœur, justice sociale, égalité des droits et reconnaissance de la place des Guadeloupéens dans la République.

En passant de l’école au tribunal, Hildevert incarne cette volonté constante de mettre les mots et les savoirs au service de la liberté collective.

Le journalisme comme combat

C’est dans la presse que Lara trouve son véritable champ de bataille. Convaincu que l’écrit peut transformer la société, il fonde successivement plusieurs journaux :

  • Le Réveil, à seulement 17 ans ;
  • La Petite République en 1899, rebaptisée La Démocratie en 1900 ;
  • Le Nouvelliste de la Guadeloupe, en 1902, qui deviendra le grand quotidien socialiste de l’île.

Ces journaux ne sont pas de simples feuilles d’information : ce sont de véritables tribunes militantes, où Lara dénonce les injustices, interpelle les autorités et défend les travailleurs.

Si l’enseignement et le droit lui offrent des moyens d’action, c’est dans la presse qu’Hildevert-Adolphe Lara trouve son véritable terrain de combat. Convaincu que l’écrit est une arme capable de transformer la société, il fait de l’imprimerie et du journalisme les instruments principaux de son engagement.

À seulement 17 ans, il fonde son premier journal, Le Réveil. Ce titre précoce annonce déjà sa vocation : éveiller les consciences, secouer l’ordre établi et donner une voix à ceux que l’on n’entend pas.

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En 1899, il lance La Petite République, qu’il rebaptise l’année suivante La Démocratie. Ce journal devient rapidement une référence dans le paysage médiatique guadeloupéen, en portant haut les idéaux de justice sociale, d’égalité et de liberté.

En 1902, il franchit une nouvelle étape avec la création du Nouvelliste de la Guadeloupe, qui deviendra le grand quotidien socialiste de l’île. Bien plus qu’un simple organe d’information, ce journal est une véritable tribune militante, un outil de combat politique où Lara dénonce les injustices coloniales, interpelle les autorités et défend les travailleurs.

À travers ces initiatives, Hildevert fait de la presse un lieu d’émancipation et de débat démocratique, dans une Guadeloupe encore marquée par les inégalités sociales et raciales. Chaque journal qu’il fonde porte la même ambition : donner à son peuple les mots et les arguments pour construire un avenir plus juste.

L’écrivain et le penseur

Parallèlement de son intense activité journalistique, Hildevert-Adolphe Lara publie plusieurs textes marquants qui témoignent de l’étendue de ses préoccupations intellectuelles et politiques.

  • En 1901, il signe A mes frères noirs, un appel vibrant à l’unité, à la dignité et à la fierté face au racisme et aux discriminations. Cet écrit, presque manifeste, résonne comme un cri d’encouragement à ses contemporains pour qu’ils se lèvent et revendiquent leur place dans la société.
  • En 1903, il publie La Question du change à la Guadeloupe, une réflexion originale sur les enjeux économiques et monétaires de l’île. Il y analyse les déséquilibres financiers, les inégalités sociales qu’ils produisent et appelle à une meilleure gestion au service des classes populaires.
  • En 1913, son essai La France et le Canal de Panama le place sur le terrain de la géopolitique. Lara y démontre que la Guadeloupe et les Antilles, loin d’être des marges, doivent être considérées comme des acteurs stratégiques dans le monde colonial et maritime.
  • Enfin, en 1936, il signe Contribution de la Guadeloupe à la pensée française. Ce texte, véritable manifeste intellectuel, affirme haut et fort que la Guadeloupe n’est pas une périphérie sans voix, mais une terre d’idées, de culture et de réflexion qui enrichit l’histoire de la République française.

À travers ces publications, Hildevert Lara exprime une conviction profonde : la Guadeloupe n’est pas un simple appendice de l’empire colonial, mais une composante à part entière du destin national et universel. Ses écrits, mêlant appel à la dignité, réflexion économique et affirmation identitaire, en font l’un des penseurs les plus engagés de son temps.

L’engagement politique

Hildevert Lara ne se contente pas d’écrire : il agit aussi dans la sphère politique.

En 1924, il se présente aux élections législatives sous l’étiquette du Parti républicain-socialiste. Bien qu’il ne recueille qu’environ 5 % des suffrages, cette candidature atteste de sa volonté de porter les idéaux de justice et d’égalité jusque dans les institutions.

L’année suivante, en 1925, il est élu conseiller cantonal de Pointe-Noire. Ce mandat lui ouvre les portes du Conseil Général de la Guadeloupe, où il s’engage sans relâche pour trois causes qui lui tiennent à cœur :

  • le développement de l’éducation, qu’il considère comme la clef de l’émancipation collective ;
  • la défense de la justice sociale, en faveur des travailleurs et des plus modestes ;
  • la sauvegarde et la reconnaissance de la mémoire des anciens esclaves, qu’il érige en devoir civique.

C’est dans cet esprit qu’en 1935, dans les colonnes du Nouvelliste, il publie un texte qui fera date : il demande qu’une plaque commémorative soit installée à Pointe-à-Pitre, afin de rendre hommage aux esclaves africains, qualifiés par lui de «premiers artisans enchaînés de la prospérité de l’île». Par ce geste, Hildevert Lara anticipe de plusieurs décennies les débats contemporains sur la mémoire de l’esclavage en France.

Ce combat visionnaire, mené à une époque où la question mémorielle était largement ignorée, confirme son rôle de pionnier. Pour lui, écrire l’histoire et agir en politique étaient deux aspects indissociables d’une même mission : offrir à son peuple une voix, une dignité et une reconnaissance.

La fin et l’héritage

En 1937, Hildevert-Adolphe Lara s’éteint dans sa ville natale de Pointe-à-Pitre, là même où il avait vu le jour soixante et une années plus tôt. Sa disparition laisse un vide dans la vie intellectuelle et politique guadeloupéenne, mais son héritage demeure considérable. 

Ses journaux du Réveil au Nouvelliste ont façonné l’opinion publique, offrant à la Guadeloupe un espace de débat démocratique et militant.

Ses écrits qu’ils soient pamphlets, essais ou manifestes ont nourri la mémoire collective, affirmant la dignité des descendants d’esclaves et la place de la Guadeloupe dans l’histoire universelle.

Ses combats politiques enfin, qu’il s’agisse de l’éducation, de la justice sociale ou de la reconnaissance des anciens esclaves, ont ouvert des voies nouvelles que poursuivront les générations suivantes.

Hildevert s’inscrit ainsi dans une véritable dynastie intellectuelle et culturelle, dont l’action traverse plus d’un siècle :

  • Moïse Lara, l’aïeul, esclave affranchi en 1843, devenu charpentier, imprimeur et journaliste ;
  • Hildevert-Adolphe Lara, instituteur, avocat et fondateur du Nouvelliste, qui fit de la presse une arme d’émancipation ;
  • Oruno Lara (1879-1924), historien et poète, premier intellectuel noir à écrire une histoire de la Guadeloupe ;
  • Bettino Lara, figure culturelle, directeur de l’Imprimerie officielle et conservateur du Musée Schoelcher ;
  • et plus près de nous, Christian Lara, petit-fils d’Hildevert, devenu le « père du cinéma antillais », qui fit entrer la voix des Antilles dans l’univers du 7ᵉ art.

Par cette lignée, les Lara ont transformé la mémoire en patrimoine vivant, et fait des mots, de l’image et de l’histoire des armes de dignité et de liberté.

Une empreinte indélébile

À travers Hildevert-Adolphe Lara, c’est toute une génération de Guadeloupéens qui s’est levée pour dire : “nous existons, nous pensons, nous écrivons”.
Il a utilisé le savoir, la presse et la politique pour donner aux Antilles une voix forte et respectée, inscrivant ainsi son nom parmi les grandes figures de l’histoire guadeloupéenne.

À travers la figure d’Hildevert-Adolphe Lara, c’est toute une génération de Guadeloupéens qui a trouvé la force de se lever et d’affirmer haut et fort :

« Nous existons, nous pensons, nous écrivons ».


Dans un contexte encore marqué par les séquelles de l’esclavage et les inégalités coloniales, Hildevert a démontré que le savoir, la presse et la politique pouvaient devenir des armes d’émancipation collective.

Instituteur, il a transmis l’instruction comme un outil de liberté.

Avocat, il a défendu la justice et les droits des plus modestes.

Journaliste et fondateur de journaux, il a façonné l’opinion publique, dénoncé les injustices et donné aux travailleurs une tribune.

Homme politique, il a porté la mémoire des esclaves jusque dans les institutions, en réclamant qu’on leur rende un hommage durable.

Par son parcours, Hildevert-Adolphe Lara a offert aux Antilles une voix forte, respectée et écoutée.

Son nom reste associé à ces pionniers qui, par leurs mots et leurs actes, ont ouvert la voie à une conscience collective guadeloupéenne. Il demeure, à ce titre, l’une des grandes figures de l’histoire de la Guadeloupe.

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